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Entretien avec le professeur Rabah Ait Hamouda, ‘mieux connaitre le covid19 pour mieux le combattre’

Entretien avec le professeur Rabah Ait Hamouda

Professeur en infectiologie – CHU Batna

Vidéo de l’entretien YOUTUBE

L’Algérie à l’épreuve d’une nouvelle maladie

Docteur Rabah Ait Hamouda, est professeur en infectiologie à Batna. Il est issu de l’école des Maladies Infectieuses de Constantine. Il a dirigé le Service des Maladies Infectieuses de Sétif de 1984 à 1998 et depuis cette date il est au département de médecine de Batna. Il est aussi vice-président chargé de la commission scientifique de la Société Algérienne d’Infectiologie (SAI)

Parlez-nous de cette nouvelle maladie, de son origine

Vous m’obliger à reprendre ce que j’ai dit dans une publication précédente mais c’est toujours utile de reprendre les choses dans ce qu’elles ont d’essentiel.
Vous avez bien dit ‘’nouvelle maladie’’, effectivement c’en est une, on les appelle scientifiquement ‘’les maladies émergentes (ME)’’ selon l’OMS. Ce sont une trentaine de maladies qui signent ce 21e siècle, et qui viennent s’ajouter à d’autres maladies chroniques non transmissibles liées au développement telles que le diabète, les maladies cardiovasculaires, le syndrome métabolique, le cancer et autres pour alourdir le destin de l’homme contemporain et qui de ce fait constituent une préoccupation sanitaire mondiale.
Ces ME sont infectieuses, souvent virales et dans plus de 80% zoonotiques c’est-à-dire d’origine animale.

Elles sont dues au passage d’un virus de l’animal à l’homme, c’est qu’on appelle le ‘’franchissement de la barrière inter-espèces ou saut d’espèces’’.
Le 29 décembre 2019, des cas de pneumopathies inhabituelles ont été répertoriées à Wuhan une ville de 11.000.000 habitants de Chine. Rapidement un coronavirus a été identifié en microscopie électronique dans les prélèvements respiratoires des patients. Ce qui est extraordinaire et bravo aux scientifiques chinois, et qui marque ce 21e siècle, c’est la rapidité de la mise en évidence du virus en même pas un mois. La médecine est à l’échelle moléculaire et des machineries bioinformatiques. Et si l’on ne s’inscrit pas dans cette approche, nous seront toujours en retard d’une guerre.

Les coronavirus sont virus à ARN, portant une enveloppe hérissée de spicules en couronne d’où leur nom ‘’corona’’. Cette enveloppe les rend fragiles dans le milieu extérieur, aux détergents et désinfectants comme l’alcool, l’hypochlorite de sodium (eau de Javel) et autres savons. Certains virus à ARN ont de grandes capacités de mutation liées à des erreurs de transcription ARN-ADN les rendant plus virulents, ou leur permettant d’infecter d’autres espèces animales dont l’homme que celles qui les hébergent habituellement.

Les coronavirus sont des virus animaux, connus depuis très longtemps des vétérinaires, mais en 1960, des variants ont été identifiés chez l’homme ; ce sont les ‘’Human-coronavirus’’ au nombre de quatre circulant continuellement dans la population provoquant des ‘’rhumes’’ banals sans mortalité.

A côté de ces habituels et gentils coronavirus vont émerger trois nouveaux virulents :
• Le premier émerge en 2003 à Guangdong. C’est un coronavirus des chauves-souris frugivores, affecte 8.000 personnes et tue 623 personnes dans un tableau d’insuffisance respiratoire aigüe : on l’appelle SRAS-CoV
(coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère). Son émergence n’a pas réussi c’est-à-dire qu’il n’a pas été capable de se pérenniser chez l’homme.
• Le deuxième fait son apparition en 2012 au Moyen-Orient (Arabie Saoudite), appelé MERS-CoV (Middle-East Respiratory Syndrome coronavirus) touchant entre 2012-2019, 2.458 personnes dont 845 décès. Il est toujours en circulation actuellement au Moyen-Orient.

• Et en décembre 2019, apparait le troisième, ce nouveau coronavirus à Wuhan, on le dénomme SRAS-CoV-2 car il ressemble génétiquement au premier de 2003. La maladie respiratoire surtout et polyviscérale dans certains cas qu’il provoque s’appelle COVID-19 (CoronaVirus Infected Disease, la maladie due à l’infection par coronavirus, 19 pour l’année 2019)

Ce qui est avancé scientifiquement à partir d’études phylogéniques, c’est que ces trois coronavirus émergeants, comme beaucoup d’autres (Ebola en Afrique équatoriale, Nipah et Hendra au sud-est asiatique,) sont hébergés de façon naturelle et pérenne par des chéiroptères dont on commence à peine à estimer et comprendre leur capacité à emmagasiner les virus. Ce sont de véritables banques à virus.

A un moment donné, ces virus peuvent passer de la chauve-souris à l’homme. Ce mécanisme de franchissement se fait par des mutations successives qui consistent à ‘’se fabriquer’’, une clé d’entrée chez l’homme. Ces mutations fréquentes chez les virus à ARN sont dues à des erreurs de l’enzyme qui transcrit l’ARN du virus en ADN proviral qui va être intégré dans la machinerie de la cellule infectée. Cette plasticité génétique est un avantage considérable pour la survie du virus. Il faut comprendre une chose, quand on parle de virus il faut imaginer, comme le dit le professeur Sansonetti du Collège de France, pas un virus mais une nébuleuse de millions de mutants et parmi ces mutants l’heureux va être celui qui aurait acquis la clé de franchissement ou de résistance aux molécules. Ce franchissement se fait souvent après plusieurs tentatives de réajustement souvent non visibles cliniquement lors de contaminations isolées et finissent en empruntant un raccourci par passage d’abord chez un animal proche de l’homme qui devient de ce fait un hôte intermédiaire. Pour le SRAS 2003, on incrimine mustélidé, la genette palmée, pour le MERS-CoV c’est le dromadaire et pour ce nouveau venu on suspecte le pangolin, un mammifère recouvert d’écailles. L’homme s’infecterait par contact étroit manipulation, dépeçage de carcasse, consommation de chair peu cuite.

Ce nouveau virus a muté, il s’est fabriqué la clé et a franchi la barrière pour passer chez l’homme : il a réussi son émergence, sa pérennisation en provoquant une pandémie mondiale c’est-à-dire sortir du foyer originel et circuler de façon autochtone dans plusieurs continents devenant une menace sanitaire mondiale.
Alors, la première idée qui circule est de dire que c’est arrivé parce que les chinois mangent des animaux.
C’est faux, il n’y a pas que les chinois, tout le sud-est asiatique a comme tradition culinaire de consommer ces animaux et cela depuis des millénaires et ce qui arrive est un phénomène nouveau.

Quelle est la situation dans le monde et en Algérie ?

Pendant les premiers mois de l’épidémie (décembre 2019 à février 2020) les cas observés étaient concentrés dans la ville de Wuhan avec quelques cas épars décrits ailleurs chez des voyageurs ayant séjourné à Wuhan.
En trois mois le virus a été exporté de chine par des voyageurs et s’est répandu dans le monde qui est devenu un village. La globalisation n’est pas uniquement économique ou commerciale, elle l’est également dans la dispersion des agents pathogènes, des résistances bactériennes. Sorti de Chine, ce virus provoque une pandémie mondiale c’est-à-dire arriver à provoquer une circulation autochtone et soutenue dans plusieurs pays car les populations ne possèdent aucune immunité, elles sont naïves immunologiquement. Sansonetti a remarqué qu’il y avait une juste corrélation entre la cartographie mondiale de dispersion du SRAS-2 et les lignes aériennes. Les virus sont dans la valise pulmonaire.

L’Europe occidentale devient le second épicentre épidémique avec trois foyers épidémiques importants la France, l’Italie et l’Espagne.
Actuellement , ce sont les Etats Unis qui qui deviennent le plus gros foyer hors de Chine.

Comme tout le reste du monde, l’Algérie n’est pas à l’abri des phénomènes microbiologiques mondiaux et le croire c’est faire preuve de crédulité. Avec un trafic aérien intercontinental, une grande communauté établie à l’étranger, un mouvement de population permanent pour des raisons commerciales, touristiques ou autres, il était évident et attendu que ce virus finisse un jour par s’introduire chez nous.
Après le premier cas importé chez un étranger travaillant dans un champ pétrolier, et je tiens ici à féliciter le médecin qui n’est pas passé à côté du cas, un cluster familial a été détecté à Blida à l’occasion d’un rassemblement familial. Actuellement, le MSPRH fait état de plus de 400 cas cas notifiés avec 25 décès.

Comment se transmet ce virus et quels sont les signes de la maladie ?

Ces virus respiratoires ont une transmission dangereusement simple. Ils se transmettent très facilement par les gouttelettes que nous dégageons en parlant, en toussant, en éternuant, en embrassant une personne, mais également par le partage de couverts (verre, fourchettes, cuillères) ; c’est une transmission dite de type rapprochée à moins d’un mètre, la promiscuité devient un facteur déterminant. Pour s’en prévenir, il faut simplement tousser, éternuer et se moucher dans un mouchoir à jeter, ou sur le pli du coude fléchi mais jamais dans les mains, car les mains souillées sont très dangereuses.

Si j’expose mes mains lorsque je tousse, j’éternue ou je me mouche le nez, je les contamine avec mes secrétions pleines de virus et de ce fait je vais partager ce virus avec toutes les personnes à qui je serre la main mais également tous les objets de la vie courante comme la poignée de la porte, la rampe de bus ou de métro, le clavier de mon PC ou mon smartphone et il suffirait pour mon parent, copain ou ami de porter sa main souillée par mon passage au visage, au nez, aux yeux pour être contaminé.

C’est pour cette raison qu’il est recommandé de se laver les mains fréquemment et au moins 20 secondes avec du savon liquide et de s’essuyer avec une serviette en papier jetable. La solution hydroalcoolique n’est pas un savon et elle n’a d’efficacité que si les mains sont propres, elle sert à désinfecter et non à laver.
Le malade est contagieux avant même les signes cliniques et peut le rester porteur et contagieux plus longtemps c’est pour cette raison que le dépistage et l’isolement jusqu’à négativation des examens sont nécessaires. Une récente information fait état de la réduction significative de ce portage par un traitement.
Certains ne présentent pas de signes et sont dits asymptomatiques ou peu-symptomatiques. Ces personnes infectées, transmettent le virus à leurs amis, leurs parents, sans le savoir.

En faisant simple, pour être contaminé, il faut récolter des postillons de toux, d’éternuements etc.), avoir été en contact physique (embrassade, poignée de main, manipulation d’objets souillés par des mains souillées) ou partager un espace de proximité fermé de transport (avion bus, taxi) ou de vie (classe d’école, cinéma, chambre,) ou ouvert (rassemblent de personnes dans la rue, les stades, les lieux de cultes.

Pour casser cette chaîne, nous appliquons recommandations des mesures-barrières très simples :
• Repos et confinement à domicile sans sortir et sans recevoir personne (ne prendre que du paracétamol, jamais anti-inflammatoires, ni aspirine, boire beaucoup d’eau et des tisanes chaudes)
• Tousser, éternuer, et se moucher dans une serviette jetable
• Se laver les mains plusieurs fois par jour au savon liquide et s’essuyer avec une serviette en papier, appliquer une solution hydro-alcoolique
• Mettre un masque à 3 plis dit chirurgical et rester à plus d’un mètre si on doit voir quelqu’un
• Ne pas encombrer les pavillons des urgences, appeler le numéro-vert et suivre les recommandations.

Y-a-t-il un traitement ?
Concernant le traitement, il n’y a pas de conduite consensuelle internationale mais il y des avis d’experts.
Divers antiviraux dont ceux utilisé dans le traitement du VIH, de la grippe, de l’Ebola et une molécule antipaludique semblent donner des résultats prometteurs, un repositionnement est plaidé par beaucoup de scientifiques. Je pense que rapidement nous allons nous aligner sur un protocole Les formes graves nécessitent une prise en charge en réanimation avec des protocoles connus de nos réanimateurs.

Quant au vaccin, plusieurs institutions et laboratoires travaillent dessus. Les plus avancés seraient chinois.
Le vaccin doit passer des phases de validation ; ce qui demande du temps. Mais il reste comme une incompréhension : On court après la recherche d’un vaccin et quand on l’a on le refuse comme on a refusé tous les précédents à l’exemple de la grippe qu’on arrête de qualifier de plus morbide et de plus mortelle et dont le vaccin reste sous-estimé et négligé même par les blouses blanches.

Avons-nous les moyens de faire face à cette maladie ?
Par moyens, moi je comprends : 1) compétences, 2) infrastructures, 3) volonté politique, 4) concept de riposte, 5) Engagement, adhésion et implication de la population

1. De la compétence :
beaucoup de choses négatives se disent à propos des médecins algériens mais il y a une
chose que je comprends dans l’acte de soins : il y a la compétence, les moyens et l’environnement d’exercice.
On constate que l’Algérie et beaucoup d’autres pays africains sont en train de former pour d’autres pays essentiellement du nord. Nos médecins arrivent à décrocher des postes et s’ils y arrivent c’est que quelque part, ils ont des qualités et des qualifications surtout avec cette nouvelle génération de bourgeons qui écument la toile avec boulimie. Ailleurs, Ils y trouvent les moyens et un environnement des plus favorable au développement des connaissances et de la qualité de l’acte de soins.
Personnellement en tant qu’enseignant en infectiologie, je peux vous garantir que les infectiologues, les autres spécialistes, les généralistes sont prêts depuis l’alerte car il s’agit d’une génération boulimique qui partage le savoir dans des réseaux que je visite régulièrement. Le médecin algérien mérite toute la confiance pourvu qu’on lui offre un environnement plus attractif, décloisonné, plus sécurisé ; mais ceci est un autre débat.

 

2. Des infrastructures :

l’endroit où vous me rencontrez aujourd’hui est un ancien sanatorium, c’est quoi à votre
avis ? Ces structures qui datent de l’époque coloniale ont été construites pour répondre à un besoin de santé prévalent qui est la tuberculose qui faisait de ravages. Il en est de même pour l’hôpital El kettar qui était destiné à isoler et traiter les maladies contagieuses de l’époque, le choléra, la peste, le typhus et à au CHU Mustapha, il y a un pavillon qui porte sur le fronton ‘’Institut du trachome’’. Cela veut dire qu’il faut prévoir des structures dédiées à pathologie prévalente ou menaçante. Ainsi, pour répondre aux préoccupations
actuelles, il a été créé des centres spécialisés, les Centres AntiCancer, l’Institut National du Rein. C’est magnifique. Mais à ce jour, malgré les différentes menaces de maladies émergentes de portées internationales (SRAS-2003, Grippe A/H5N1 , MERS-CoV, COVID-19, fièvres hémorragiques, menace bio-terroriste etc.) nous n’avons pas encore de structures aux normes de sécurité biologiques pour répondre
à un éventuel risque d’introduction de maladies hautement contagieuses ou une menace malveillante. Je pense que les menaces ne vont pas s’arrêter et cette épidémie vient nous rappeler qu’il est nécessaire d’inscrire l’idée et de réactiver le processus ; je le dis parce que je sens une volonté de changement dans la démarche officielle.

Actuellement, cette épidémie va nous défier comme elle a défié les autres pays dans la prise en charge des
formes graves. On constate à travers ce qui se passe en Espagne, en France, en Italie où les services de
réanimation ont rapidement été débordés.
Dans la gestion des épidémies, Il est classiquement recommandé d’anticiper et de toujours essayer d’éviter le pic et tout faire pour l’étaler dans le temps pour ne pas dépasser les capacités des structures en agissant plus en amont c’est-à-dire dépister-isoler-confiner et traiter si possible. il est important d’anticiper dans la prise en charge des formes graves qui vont certainement arriver et de d’activer en amont par un confinement strict, une conscientisation citoyenne et envisager des approches alternatives. Il faudrait inscrire au cas échéant, un redéploiement d’autres structures publiques ou privées à cette mission. Je viens d’apprendre une anticipation par la mobilisation de 5.000 respirateurs. Ce qui est attendu et c’est une bonne nouvelle.

  1. De la volonté politique :
    je le redis encore, il y un effort très important, palpable qui est entrepris en termes de communication.
    • Contrairement à ce que nous avons l’habitude de vivre lors des épidémies précédentes, nous avons chaque
    jour un état de la situation, des messages de prévention en boucle, des débats scientifiques sur plateaux, une
    ouverture de portails-web des organismes concernés (IPA, MSPRH, INSP). C’est la première fois que nous disposons d’un numéro-vert pour répondre aux soucis des patients. Il restera à exploiter d’autres espaces de communication comme le web car tout le monde surfe sur google, Facebook ou YouTube ou autres et peu suivent les écrans télé.

    • C’est la première fois, que je vois un problème sanitaire urgent débattu à la commission santé de l’APN, que
    le ministre de la santé, et le premier ministre répondent sur des plateaux, et que Monsieur le Président de la
    République, s’adresse à la nation pour décréter les mesures prises par son gouvernement et ériger l’épidémie
    en sécurité sanitaire nationale. Vous allez me dire que la portée de l’évènement est différente et d’importance, je vous réponds que je l’inscris comme un acquis dans la politique de santé.

4) De la riposte aux menaces :
En dehors des menaces d’émergence mondiale, l’Algérie est prise en tenailles par deux interfaces :
• L’interface méditerranéenne au nord, qu’elle partage avec ses voisins et qui l’expose aux risques infectieux
venant du nord et tout ce qui se passe dans le bassin. L’introduction du moustique tigre en est un exemple
simple.

• L’interface subsaharienne au sud qui est devenue poreuse et qui l’expose aux risques tropicaux.

Beaucoup de confrères n’arrêtent pas de plaider, à juste raison, pour une agence de la santé et un institut de veille sanitaire. cette plaidoirie est juste est d’actualité.
Le concept de veille et de surveillance existe depuis les années 70 avec la création de l’INSP et le professeur Guidoum (Allah yarhamou) du temps où il était ministre de la santé, avait initié la création d’une veille régionale avec les ORS (observatoires régionaux de la santé), et le Dr Barkat, ministre de la santé avait lui aussi lancé l’idée d’un département des maladies émergentes comme l’observatoire tunisien.

Créer une agence de veille sanitaire ou booster l’INSP pour en faire une et à mon sens un chantier à inscrire et pourquoi ne pas réfléchir en projection régionale, pour un centre maghrébin comme l’ECDC (centre européen de contrôle des maladies) puisque nous partageons les risques.

L’Institut Pasteur d’Algérie (IPA) est un bijou auquel il faudrait donner plus de brillance. Actuellement nous y avons de grandes compétences qui y travaillent mais le ramener à faire la confirmation du vibrion cholérique c’est quelque part le détourner de sa mission de recherche approfondie. Au cours des épidémies précédentes de choléra, le diagnostic se faisant par le laborantin de garde ce qui n’a diminué en rien de la qualité du diagnostic. Je souhaiterai que l’IPA ait les moyens de quoi génotyper le vibrion de Blida et nous dire s’il vient de Haïti, du Népal ou du Soudan, que le moustique Aides Albopictus introduit chez nous nous vient d’Europe ou d’Asie.
Nul besoin alors, de voir nos doctorants aller ailleurs pour décrypter les génotypes de résistance des germes de leurs travaux de recherche. Je n’aime pas que nous soyons des ‘’porteuses d’eau’’.

Cette épidémie de COVID-19 a mis à jour la nécessité rapidement comprise par les autorités de faire une décentralisation des diagnostics au niveau des régions et pourquoi pas au niveau des CHU de l’intérieur et les compétences existent et largement dispatchées partout, il suffit juste de les doter de l’appareillage nécessaire car actuellement tout automatisé.
L’IPA ne pourra pas à lui seul répondre à la demande non pas en terme de moyens ou de compétences mais en termes de charge de travail et de délai de rendu de résultat.

Je me souviens lors de mon service national en 1983 à Tamanrasset, l’OMS avait organisé un séminaire sur ‘’les risques d’introduction de maladies tropicales par l’ouverture la route transsaharienne’’. Mr Le Professeur Bouguermouh, notre ainé virologue que Allah nous le garde était le boss algérien. Il avait été retenu la création d’un observatoire (clinique et biologie) pour dépister, prendre en charge les cas de maladies tropicales introduites. C’en est où ? Voici une région très spécifique constituant une convergence des flux migratoires, un carrefour d’échanges de populations transfrontalières, une plaque tournante d’introduction de maladies et de zoonoses tropicales où il est urgent d’installer un institut de surveillance et de traitement des maladies tropicales. L’adduction en eau de cette région à partir du bassin de In Salah est un impératif de développement évident mais qui va certainement s’accompagner de création de nouveaux écosystèmes vectoriels dont il faut anticiper l’importance.

Il est clair que nous ne pourrons plus affronter les défis sanitaires de 21e siècle avec une approche organisationnelle des années antérieures. Les risques émergent, ne pas oublier que des menaces malveillantes peuvent être en orbite, les concepts changent et évoluent, les approches et les ripostes le sont nécessairement. Il est peut-être temps de se reposer ces questions.
Nous avons la chance d’avoir le vécu et l’expérience des autres pays ce qui nous permet d’avoir une meilleure lecture, une approche plus raisonnée, voir les échecs et les erreurs.
Par ailleurs, à défaut d’avoir une agence de la santé nous avons des sociétés savantes de toutes spécialités qu’il me semble impératif d’impliquer dans la réflexion, la conception et la validation des recommandations pour leur donner une étoffe scientifique comme cela se fait en Tunisie et ailleurs.

  1. Adhésion, engagement et implication de la population.

Chaque épidémie est une leçon et si on ne la retient pas on en paye le prix. L’épidémie de COVID-19 est un cas d’école qui va certainement être enseigner ultérieurement en épidémiologie. Elle nous apprend comment des pays sont arrivés à contenir et éteindre un phénomène émergent, explosif.
Une des peurs caractéristiques des phénomènes épidémique c’est la réaction négative d’une population mal ou peu informée qui peut aboutir à des situations de panique difficilement contrôlable et qui quelque fois serait plus délétère que la maladie elle-même.
Pour cette épidémie, la première leçon à retenir c’est qu’il n’y a pas de traitement et pas de vaccin. La prévention reste la seule arme dont nous disposons et qui est appliquée par tous les pays touchés riches ou pauvres. Cette prévention est basée sur le changement de comportement de l’individu qui consiste de se protéger, protéger les siens et protéger les autres par des moyens simples accessibles, peu coûteux que sont les mesures appelées barrières.

La Chine et la Corée qui ont contenu l’épidémie, Singapour qui en a bloqué l’avancée viennent de donner une leçon d’exemplarité citoyenne. Arriver à confiner Wuhan de 11.000.000 d’habitants, à soumettre au diagnostic de rue tous les coréens et tout cela ne peut se faire qu’avec l’approbation, l’adhésion de la population, c’est ce qu’on appelle l’implication par conscientisation. L’implication de la population, son
inscription dans la démarche préventive est un garant de l’efficacité de l’action.

On parle de démocratie participative, aujourd’hui il faut parler de la citoyenneté participative,
Être citoyen c’est avoir des droits dans la cité mais c’est aussi assumer ses devoirs envers cette cité.

Il est désolant de voir, que malgré toutes les informations circulant sur le web, ou émises par nos autorités, certains continuent à s’inscrire dans la désobéissance, le déni et l’opposition irrationnelle. Ce comportement est le résultat d’une mésinformation virale qui écume la toile créant un doute quant à l’origine du virus.

Mais Il y a eu également une erreur de jugement des scientifiques, une sous-estimation de la morbi-mortalité au départ. Dans tous les débats sur les plateaux des chaines étrangères et même chez nous, on faisait une comparaison entre la grippe et la COVID-19 en disant que la grippe est plus dangereuse et que cette nouvelle maladie est bénigne, c’est juste une ‘’grippette’’. Dans l’imaginaire collectif, cela a été perçu comme une assurance, un réconfort. Cette comparaison a eu un effet négatif dans les comportements. Maintenant que l’on se rend que la COVID-19 prend une tournure dramatique chez des population sans immunité, il devient difficile de le faire admettre et arriver à changer la perception et les comportements.

Il faut comparer ce qui est comparable et donner à chaque chose sa juste valeur.

Les virus n’ont pas de sentiments, ils ne viendront pas pleurer sur nos tombes, c’est nous qui allons pleurer sur la tombe de ceux que nous aimons

Le meilleur sens que je donne au regret, c’est qu’il nous rappelle nos erreurs

Dr. Rabah Ait Hamouda, Professeur en Infectiologie

 

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